Une donation surprise

    A sa mort en 1977, Mlle du Bouchage, comtesse de Triors, nous a fait don des ruines de la chapelle romane de Gillons, sans obligation de restauration.

Elle ne nous en avait jamais parlé de son vivant. Surprise et embarras. Anne et moi avions une ruine de plus sur les bras. Et les travaux de restauration de la maison forte de Clérivaux, en cours depuis 1966, étaient bien loin d’être terminés.

Les deux propriétés étaient les plus anciennes de la commune, liées de surcroît par l’histoire et le patrimoine. Mais il fallait finir les travaux à Clérivaux avant d’ouvrir un second chantier. En attendant, je murai toutes les ouvertures de la chapelle pour mettre fin au pillage de la ruine.

Des raisons familiales

    En juillet 1995 notre fille Aude se mariait dans la chapelle « sans toit ni chevrons » et deux mois plus tard nous avons enterré notre fils Bertrand ( 33 ans ) dans l’ancien cimetière de Gillons. Puis, les aînés de nos petits - enfants furent baptisés à Gillons. Dès lors, la piété familiale militait pour la restauration des ruines.

Un devoir envers les générations futures

    Les Trente Glorieuses ayant saccagé allègrement le patrimoine architectural de la région, nous pensions qu’il fallait en sauver quelques bribes ; et nous avions la chance d’être en possession de la perle du patrimoine local.

La décision était prise : nous restaurerions la chapelle dès que possible pour l’ouvrir au public et la léguer aux générations futures.

Les travaux : 2006 - 2009

    Fort de l’expérience et du coup de main acquis à Clérivaux, je pouvais espérer faire vite et bien. Vu mon âge, j’embauchai un collaborateur à temps complet pour finir les travaux dans des délais acceptables : Jean - Luc pour la maçonnerie, puis Pascal pour les espaces verts.

Le 21 mars 2006, mise en place de l’échafaudage pour reprendre le haut des murs et le clocher. Je me réservai le plaisir de faire toute la maçonnerie moi-même. Il le fallait pour l’homogénéité visuelle de l’ouvrage. De son coté, Jean - Luc, a parfaitement maîtrisé la pose d’une centaine de m² de vieilles dalles en molasse dans la chapelle : comme si elles avaient «toujours été là ».

Nous suivions les plans et les conseils de Manuelle Véran, architecte DPLG, diplômée de l’école du patrimoine de Chaillot. Un coup d’œil et un coup de crayon très sûrs ! Son sens du sacré a sauvé et souligné la dimension spirituelle de Gillons. Au moindre écart, sa formule magique : « simplicité cistercienne », nous recadrait. Elle était la gardienne de l’esprit des travaux…

    Pour recréer la magie originelle du sanctuaire, il fallait utiliser les matériaux nobles des origines: pierre, bois et terre cuite du pays, travaillés à la main comme à l’époque.

Mission impossible : de nos jours, les marchands de matériaux ne vendent que de l’industriel et des succédanés. On veut faire vite, au détriment du beau, du durable… Donc nous ramions contre le courant…

    Heureusement, j’ai reçu de la part du public, rapidement gagné par l’aventure, un accueil chaleureux et constructif. On me donnait quantité de matériaux anciens pour que je leur assure une seconde vie. Même la vieille porcherie du début du 19ème , qui sert maintenant d’édicule de service. Nous l’avons déplacée pierre par pierre du Petit Châtillon à Gillons. Les grilles à l’entrée des espaces verts, les pavés «  têtes de chat » des allées, la porte en noyer du 18ème à l’entrée de l’église, les dalles en molasse au sol de la chapelle et les bancs dans la nef : tout a été donné pour échapper à la destruction. D’autre part, des amis de Gillons ont offert les vitraux et les cloches. Toutes ces contributions à la restauration en faisaient peu à peu œuvre collective. J’étais devenu en quelques sortes, l’initiateur - animateur du sauvetage !

Genèse de la restauration

    La chapelle ressuscitait lentement, à notre rythme. Mais ce n’était pas tout à fait celle qui s’était effondrée au milieu du siècle dernier. Une synthèse diachronique additionnait tout ce que les recherches historiques et archéologiques avaient révélé au cours des travaux. Les strates des différentes époques devenaient lisibles : depuis les Celtes jusqu’au 19ème . Dans la chapelle seigneuriale attenante, le sol en dalles de verre laisse voir mille ans d’architecture : une absidiole paléochrétienne sert de fondation à l’absidiole romane sous la chapelle gothique, fondée en 1492. Une belle récompense pour nous : nous récoltions bien plus que nous n’en avions semé…


   Une mention spéciale pour mon ami Raymond qui a fait d’innombrables photos des travaux au jour le jour pour en garder la mémoire. Il a créé et fait vivre le site " www.gillons.fr ".  Ce site restera un témoignage, une précieuse source de renseignements et un lien entre tous les amis de Gillons. Le visiteur découvre la chapelle dans un jardin méditatif. Il s’ordonne autour de la buxaie pluriséculaire de l’ancien cimetière. Une porte vers le merveilleux..

   Une nouvelle vie pour Gillons

    La restauration procure un grand plaisir intellectuel et sensuel. Il pourrait se suffire à lui-même. Il fallait cependant envisager un but plus large, plus « social » : ouverture des lieux au culte, à la culture, en un mot : au public.

   Le culte

    L’Eglise a trop d’églises pour trop peu de prêtres. Mais Gillons, église paroissiale jusqu’à la Révolution, n’en reste pas moins un sanctuaire qui incite au recueillement. Tous ceux qui y entrent, le ressentent. Après le culte druidique, il y eut les célébrations gallo-romaines puis chrétiennes dans une petite église paléochrétienne bien avant l’église bénédictine du 12ème . Anne et moi voulons conserver au lieu sa dimension spirituelle. Depuis la nuit des temps, les hommes sont venus ici, collectivement ou individuellement pour ouvrir leurs sens, leur esprit et leur cœur au contact de la beauté : « sursum corda »… « ad majorem gloriam dei »…

   Certains viennent à Gillons dans le seul but de prier, de se recueillir ou de méditer. Je m’en réjouis.

La culture

    Aujourd’hui, la culture rassemble plus de monde que le culte. Elle permet d’atteindre un public plus large. Notons que l’émotion esthétique élève l’âme et le cœur tout comme l’émotion métaphysique. Au plan culturel, tout est prévu par Manuelle pour les expositions de peinture, la musique, la chorégraphie, le chant, les conférences. L’acoustique est parfaite. Dès cet été, Anne et moi mettrons Gillons à la disposition de l’association « pour Gillons » qui nous épaule depuis le début des travaux. Elle aura la difficile mission de faire vivre le lieu, de rendre l’esprit de Gillons accessible à tous. Nous continuerons cependant à coopérer de notre mieux.

Les contacts avec le monde de l’art sont déjà nombreux et prometteurs. Gillons nous transporte dans un autre monde où nous oublions le quotidien prosaïque pour vivre un moment d’exception...

Pierre Josquin, le 12 mai 2010

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