Chronique d’une redécouverte

De petits soucis de lecture


 En 1791, le curé de Gillons, Pierre Chaptal, demande au directoire de la Drôme un soutien financier pour poursuivre les offices. Il mentionne à l’occasion que fut dressé le 28 juin 1492 l’acte de fondation d’une chapelle, dans ce sens un édifice de culte privé qui, le texte l’indique, abrite la tombe du « fondateur » de la chapelle. Ce dernier a donc dû être inhumé, selon toute logique, vers 1492. Mais d’autres informations se révèlent plus problématiques. Pierre Chaptal, reprenant très certainement la formule de l’acte originel, mentionne que la chapelle « forme autel dans le choeur de l'église de ladite paroisse, laquelle chapelle fut dotée d'un bâtiment ».


 C’est a priori contradictoire. Pierre Chaptal indique nettement que, lors de la rédaction de l’acte, l’église de Gillons est paroissiale, c’est-à-dire qu’elle a vocation à accueillir l’intégralité des croyants. Et la chapelle, lieu de culte privé nécessairement à l’écart, serait un autel au sein même du chœur de l’église paroissiale. Or, il paraît difficile d’ainsi partitionner l’espace. La fin de la phrase vient lever l’ambiguïté : la « chapelle fut dotée d’un bâtiment ». En d’autres termes, un nouvel espace, à usage privatif, est ajouté. Cet espace nous le connaissons. C’est la chapelle des Clérivaux, petit bâtiment rectangulaire voûté en arc d’ogives et orné d’une litre funéraire. Le style gothique de la chapelle tranche avec le reste de l’édifice, de tradition romane ; il suggère une datation aux XVe-XVIe siècles. L’acte nous permet de resserrer la datation à l’intervalle fin XVe s.-début XVIe s., sa rédaction pouvant entériner une situation de peu antérieure ou précéder des travaux éventuellement retardés. La litre rappelle la fonction funéraire de la chapelle déjà définie par l’acte. En revanche, elle pourrait indiquer un usage collectif. La chapelle serait, pour reprendre un terme plus moderne, le ‘caveau’ des Clérivaux.


 Ceci dit, doit-on effacer pour autant des tablettes de l’Histoire l’indication « forme autel dans le choeur de l'église de ladite paroisse » ? On pourrait tout à fait la balayer sous prétexte que la chapelle fondée est bien reconnue. Cette formule un peu malheureuse reviendrait à dire que la chapelle jouxte le chœur de l’église…Et si, à l’inverse, on la prenait au pied de la lettre. Un chœur aurait précédé la chapelle, son autel et le bâtiment en tant que tel. Quel que soit le sens que l’on donne au propos de Pierre Chaptal, l’existence de structures antérieures à la chapelle des Clérivaux est aujourd’hui avérée. Des travaux menés par Pierre Josquin, depuis début septembre, ont révélé un peu plus encore le riche passé de Gillons.


Des structures énigmatiques


 Alors qu’il creusait le sol de la chapelle latérale des Clérivaux pour préparer la pose d’un carrelage, Pierre Josquin a mis au jour sous le mur est de la chapelle trois structures. Il s’agissait en premier lieu d’un radier grossier qui, de forme rectangulaire, servait de fondation à une structure supérieure. Cette dernière n’existe plus mais on peut en lire les négatifs sur la paroi est. C’est un autel disparu. Derrière le radier figurait un mur de bonne facture. Sa fonction est simple : il sert de fondation au mur est. Il comble ainsi l’espace entre le radier et le mur. Sa construction est donc à mettre en lien avec l’édification de la chapelle fin XVe-début XVIe s. Ces deux structures n’ont aucun intérêt architectural. Elles masquaient une autre structure, de meilleure facture. En l’absence de niveaux archéologiques, le démontage du radier et du mur de fondation s’imposait de toute façon pour réaliser le carrelage. Le schéma ci-dessous montre l’apparence que prenait l’ensemble après un simple dégagement des gravats.

 Le démontage des structures B et C a permis de mieux comprendre la structure A. Cette dernière a la particularité d’être semi-circulaire, à la manière d’une abside. L’appareil et le mortier de cette abside sont remarquables. Le mortier est fin et solide. Il diffère de celui des murs de la chapelle des Clérivaux. L’appareil est très régulier. Les angles sont appareillés par des pierres d’un module supérieur, bien taillées. La taille de ces éléments n’est pas sans rappeler celle des blocs romans de l’édifice, comme ceux des portes en plein-cintre. Un dégagement complet de l’absidiole s’imposait donc. Le sol ne contrariait pas l’entreprise. En effet, il était considérablement remué y compris par un pillage récent (des chercheurs de trésor ?). Prenant l’apparence d’une poussière grise compacte mêlée d’éclats de pierre, le sol livre quelques éléments osseux humains certes mais également fauniques. Quelques tessons extrêmement fragmentés ont également été recueillis. Le tout était extrêmement brassé. Aucune sépulture n’a donc été découverte. On sait, de toute façon, que les sols d’église sont souvent complètement bouleversés.

 Chaque période détruisant les restes de la précédente. Les quelques tessons céramiques permettent cependant une datation. Ils semblent tous appartenir à la période médiévale et très certainement aux XIe-XIIe siècles. Compte tenu des bouleversements du sol, on aurait pu s’attendre à découvrir des éléments plus récents, datant justement ces perturbations. L’absidiole a clairement été arasée au moment de l’édification du bâtiment actuel soit vers 1492, même si aucun tesson ne documente cette période dans l’espace considéré. En revanche, la datation des tessons va tout à fait dans le sens de l’examen archéologique du bâti. L’absidiole est romane. Elle pourrait renvoyer à la fondation de l’église des Gillons en 1160.

   

 Pierre Josquin n’a toutefois pas pu terminer le dégagement de l’absidiole…dans la mesure où une autre absidiole existe au-dessous. Malheureusement, aucune stratigraphie n’apparaît. Cette première absidiole est entourée des mêmes gravats.



 Aucun des rares éléments anthropiques n’était en place et les quelques tessons renvoyaient encore au Moyen Âge cla ssique. Pour autant, l’absidiole sous-jacente est de facture nettement différente. L’appareil est irrégulier. Les pierres sont grossièrement équarries. La forme même de l’absidiole diverge de la première absidiole dégagée. Elle ne trace pas un demi-cercle parfait, mais possède des blocs légèrement rentrants au niveau des extrémités. Ce profil est dit en fer à cheval et est souvent considéré comme une marque d’ancienneté. De fait, nous manquons dans le voisinage d’édifices assez anciens pour permettre des comparaisons. Il est certain que cette absidiole renvoie à un édifice antérieur au XIIe siècle. Doit-on y voir un premier roman (XIe siècle), un édifice carolingien (IXe-Xe s. ?) ou plus ancien encore ? Pour le savoir, il faudrait découvrir un véritable niveau de sol, correspondant à l’édification de la structure. Et ce fut chose faite. Un niveau clairement en place, caractérisé par sa rubéfaction et possédant un fragment de bois carbonisé, fut découvert. A ce niveau appartient le squelette en connexion d’un enfant. Des remaniements ultérieurs ont, semble-t-il, emporté la partie supérieure de son corps (épaules et tête). Ses pieds sont invisibles car visiblement pris dans la construction de l’absidiole. Le squelette paraît en quelque sorte très resserré, ce qui pourrait indiquer la contrainte d’un linceul. L’inhumation, orientée, précéderait donc la construction de l’absidiole. En bonne intelligence avec la Conservation du Patrimoine de la Drôme, il fut décidé de ne pas ‘rentrer’ dans ce niveau. Il est donc intact, aujourd’hui conservé sous un bidime. Ce niveau - seule véritable couche archéologique – n’est pas daté. Ce sera un travail pour les générations futures.

En rouge : emplacement de la sépulture. Les pieds (à l’Est) sont pris par le mur de l’abside. La partie supérieure du corps est manquante.


 Pour le reste, nous ne pouvons qu’en rester au stade des spéculations. L’inhumation en pleine terre, sans coffrage ou sarcophage, est d’interprétation difficile. En termes de pics de probabilité, elle renverrait davantage à l’Antiquité qu’au Moyen Âge. Mais, à dire vrai, elle est utilisée de tout temps. Ce mode funéraire pourrait aussi témoigner du statut inférieur de l’individu, visiblement pré-pubert. Les arguments manquent pour tenter une datation de la plus ancienne absidiole. Elle contrarie sans nul doute la chronologie établie qui voulait que l’abbaye de Montmajour fonde un prieuré ex nihilo. De là toutes les hypothèses sont permises. Dans ce cadre, on peut postuler l’existence d’un premier édifice ? (On en vient à se demander !) alto-médiéval et un deuxième édifice au XIIe siècle.


Perspectives


 La non-exploration des éléments en place (niveau rubéfié, sépulture d’enfant) est le gage de leur bonne conservation. Les archéologues pourront donc s’y intéresser en toute quiétude. D’autant que, toujours en lien avec la Conservation du Patrimoine de la Drôme et l’architecte du patrimoine en charge du dossier, il fut décidé de ne pas poser dans cette partie un carrelage au profit d’une vitre permettant au visiteur de contempler les deux états antérieurs à la chapelle seigneuriale.

 La probabilité d’avoir devant nous les restes d’un édifice paléochrétien (VIe-VIIIe siècles) est forte. L’existence d’un niveau en place indique que la datation de cette structure est possible à l’avenir. L’Archéologie devra intervenir. Et elle trouvera peut-être davantage encore.

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